À moins de quatre-vingt-dix milles nautiques des côtes de Gaza, soit environ cent soixante kilomètres, la tension est à couper au couteau. La flottille mondiale Sumud, composée de plus de quarante navires chargés à ras bord d'aide humanitaire, navigue, proue fixée sur l'enclave palestinienne. La distance est considérable. C'est une étape symbolique et concrète, car ils ont déjà dépassé le record atteint en juin par le navire « Madleen » avant que l' armée israélienne ne l'arrête. Cette fois, ils étaient restés sur leur faim, mais cette fois, leur détermination semble différente. C'est un bras de fer au ralenti, sous les yeux du monde entier, attendant de voir qui clignera des yeux le premier dans ces eaux si chargées d'histoire et de conflits.
Du côté des organisateurs de la flottille, le message est clair et ferme, malgré ce qu'ils décrivent comme une nuit plutôt mouvementée. Sur les réseaux sociaux, porte-parole actuel de ces causes, ils ont raconté avoir passé la nuit à subir ce qu'ils appellent des « tactiques d'intimidation » de la part de l'armée israélienne. Ils n'ont pas fourni beaucoup de détails, mais on peut imaginer le scénario : des radios crépitantes, des avertissements au ton sévère, peut-être un survol à basse altitude pour marquer le cap, ou l'apparition des silhouettes grises de navires militaires à l'horizon. Ils assurent toutefois que l'équipage et les militants à bord restent calmes. « Loin de nous intimider, les menaces n'ont fait que renforcer notre détermination à aller de l'avant », peut-on lire dans leur déclaration. L'objectif n'a pas changé d'un iota : briser le siège imposé par Israël sur la bande de Gaza et accomplir ce qu'ils appellent une « mission de solidarité non violente ».
Bien que pour l'instant le rapport officiel affirme que « tout le monde est sain et sauf », personne ne relâche la pression. L'état d'alerte est permanent. Ils savent que chaque kilomètre parcouru les rapproche du point de rupture. Sur les ponts des navires, des vétérans de mille combats militants se mêlent à de jeunes idéalistes, tous unis par la même cause. Le cortège se poursuit intérieurement ; la peur est un courant sous-jacent que chacun ressent, mais que personne ne laisse transparaître. Ce qui prévaut, c'est la camaraderie, le compagnon qui passe de main en main et les regards qui se croisent, qui disent « nous sommes tous dans le même bateau ». Ils savent qu'ils sont désarmés, que leur seule force réside dans la cargaison qu'ils transportent dans les cales : médicaments, nourriture, fournitures scolaires et, surtout, le message qu'ils ne sont pas seuls.
De l'autre côté du comptoir, le point de vue est radicalement différent. Le gouvernement israélien n'y voit pas une mission humanitaire, mais plutôt une provocation et une menace potentielle pour sa sécurité. Ce mercredi, les autorités israéliennes ont une fois de plus insisté, par tous les moyens possibles, pour que les navires fassent demi-tour et oublient l'affaire. Il ne s'agit pas d'une position nouvelle, mais plutôt de la réaffirmation d'une politique d'État. Elles affirment avoir le droit d'intercepter tout navire qui tenterait de violer la zone d'exclusion maritime imposée au large de Gaza. Pour elles, le blocus n'est pas un caprice, mais une nécessité pour empêcher la contrebande d'armes et de matériels susceptibles d'être utilisés à des fins hostiles. La méfiance est totale, et elles ne sont prêtes à prendre aucun risque.
Et pour compliquer encore les choses, la pression ne vient pas seulement d'Israël. La diplomatie européenne joue également son rôle. Les gouvernements espagnol, italien et grec – pays directement liés à la flottille en raison de l'origine des bateaux ou des militants – envoient depuis mardi des messages appelant à la prudence et à éviter toute confrontation. C'est un exercice d'équilibriste classique : d'un côté, la pression de leur propre opinion publique, souvent favorable à la cause palestinienne ; de l'autre, la nécessité de maintenir des relations stables avec Israël et d'éviter un incident international qui se propagerait à tous. Personne ne souhaite revivre le scénario des précédentes flottilles, avec des arraisonnements et des impasses diplomatiques qui durent des mois.
Pendant ce temps, les militants s'accrochent à leur interprétation du droit international. Ils insistent sur le fait que, tant qu'ils naviguent dans les eaux internationales, nul n'a le droit de les arrêter. Et ils maintiennent qu'une fois arrivés près de la côte, ils se trouveront dans des eaux qui devraient relever de la juridiction palestinienne, et non israélienne. Il s'agit d'une bataille juridique menée parallèlement à la bataille navale, un affrontement de souverainetés et de légitimités dans une zone maritime qui ne dépasse pas la distance entre Montevideo et Durazno. Chaque camp a ses arguments et ses raisons , et aucun ne semble prêt à céder d'un pouce. Les prochaines heures seront cruciales. L'issue de cette histoire s'écrit en ce moment même, avec le bruit des moteurs en arrière-plan et l'odeur du salpêtre et de la poudre à canon dans l'air.