Boluarte a déclaré que les jeunes qui manifestent sont influencés

par 1 octobre 2025
Dina Boluarte

Début octobre 2022, dans un contexte de tensions politiques accrues au Pérou, la vice-présidente de l'époque, Dina Boluarte, a publié des déclarations controversées dans lesquelles elle affirmait que les jeunes participant aux manifestations contre le gouvernement du président Pedro Castillo étaient « influencés » par des secteurs qu'elle qualifiait de « rancuniers ».

Ces déclarations interviennent dans un contexte de protestations et de critiques constantes à l'encontre de l'administration Castillo et s'inscrivent dans le cadre du discours de défense du pouvoir exécutif contre ce qu'il considère comme des attaques déstabilisatrices. Boluarte, en sa qualité de vice-présidente, a cherché à discréditer les motivations des manifestants, les attribuant à une manipulation de tiers plutôt qu'à un véritable mécontentement social.

Les propos du responsable ne constituaient pas un incident isolé, mais s'inscrivaient dans un discours gouvernemental qui accusait systématiquement l'opposition politique, certains groupes économiques et les médias d'être les instigateurs des manifestations. L'objectif était de présenter les manifestations non pas comme un exercice légitime de citoyenneté, mais comme une stratégie orchestrée visant à affaiblir le gouvernement démocratiquement élu.

Le contexte de la crise politique en 2022

Pour comprendre la portée de ces déclarations, il est essentiel d'analyser le paysage politique péruvien à la fin de 2022. Pedro Castillo a été confronté à une crise de gouvernabilité presque dès sa création en juillet 2021. La confrontation avec un Congrès à majorité d'opposition a été constante, avec de multiples tentatives de destitution du président et une série d' enquêtes fiscales pour corruption présumée impliquant les plus proches collaborateurs du président.

Dans ce contexte, les manifestations citoyennes étaient devenues récurrentes. Divers groupes, notamment des jeunes et des étudiants, descendaient dans la rue pour exprimer leur rejet de l'instabilité politique, des actes de corruption présumés et de la gestion économique du pays. Les revendications étaient variées, mais une part importante réclamait la démission ou la destitution du président Castillo.

La réponse du gouvernement à ce mécontentement a souvent consisté à minimiser la légitimité des marches. En qualifiant les jeunes d'« influencés », la vice-présidente de l'époque, Boluarte, a renforcé l'idée que les critiques n'avaient aucun fondement social réel, mais étaient plutôt le fruit d'une manipulation de la part de ceux qui, selon elle, n'acceptaient pas les résultats des élections de 2021.

Qui étaient les « rancuniers » ?

Bien que Dina Boluarte n'ait pas précisé à qui elle faisait référence par le terme « amertume », cet adjectif était couramment utilisé par les partisans du gouvernement pour désigner l'opposition politique , menée par des partis comme Fuerza Popular, et les élites économiques et sociales de Lima qui avaient historiquement détenu le pouvoir. Le discours officiel présentait ces groupes comme motivés par le ressentiment d'avoir perdu leurs privilèges avec l'arrivée d'un gouvernement d'origine rurale et populaire.

Cette rhétorique a accentué la polarisation du pays. D'un côté, les partisans du gouvernement ont perçu les manifestations comme une tentative de la droite de reprendre le pouvoir par des moyens antidémocratiques. De l'autre, l'opposition et une partie de l'opinion publique ont estimé que le gouvernement utilisait cette rhétorique pour esquiver sa responsabilité dans la crise et stigmatiser les dissidents.

Les déclarations de Boluarte ont donc contribué à créer un climat rendant le dialogue pratiquement impossible. Au lieu de s'attaquer aux causes du mécontentement des jeunes, on a choisi de discréditer les messagers, une stratégie qui s'est finalement avérée intenable.

Réactions et prélude à un changement radical

Les déclarations de la vice-présidente ont immédiatement suscité la condamnation de divers secteurs. Les dirigeants de l'opposition politique l'ont accusée d'ignorer la réalité et de sous-estimer le jugement de la jeunesse péruvienne. Les organisations étudiantes et les groupes de jeunesse ont publié des déclarations niant être l'instrument d'un quelconque groupe politique et réaffirmant l'autonomie de leurs revendications.

Experts et analystes ont souligné le danger de ce type de discours, avertissant que refuser de reconnaître le mécontentement social ne pouvait qu'aggraver les conflits. Cependant, à l'époque, rares étaient ceux qui imaginaient l'ampleur de la crise qui allait éclater deux mois plus tard.

Le 7 décembre 2022, l'histoire politique du Pérou a pris un tournant dramatique. Afin d'éviter une nouvelle motion de destitution, le président Pedro Castillo a annoncé la dissolution du Congrès et l'instauration d'un gouvernement d'urgence, une mesure unanimement condamnée comme un coup d'État. La tentative a échoué en quelques heures. Le Congrès l'a démis de ses fonctions pour incapacité morale permanente, et Castillo a été arrêté.

De vice-président à président en pleine tourmente

Par succession constitutionnelle, Dina Boluarte a prêté serment comme nouvelle présidente de la République le jour même. S'en est suivie une vague de protestations bien plus importante que celle à laquelle le gouvernement qu'elle dirigeait a été confronté. Paradoxalement, une grande partie des manifestants étaient des jeunes du sud du pays qui réclamaient sa démission, la dissolution du Congrès et des élections anticipées.

La réponse de son gouvernement à ces manifestations a été vivement critiquée aux niveaux national et international pour son recours excessif à la force, qui a fait des dizaines de morts. La responsable qui, quelques mois plus tôt, avait accusé les jeunes manifestants d'être « influencés » se trouvait désormais, en tant que chef de l'État, confrontée à une rébellion sociale violemment réprimée.

Ses déclarations d'octobre 2022 ont alors pris un sens nouveau, ses détracteurs les considérant comme un signe de son indifférence aux revendications populaires et comme un précédent amer quant à la position que son propre gouvernement adopterait face à la contestation sociale. La crise politique au Pérou, loin d'être résolue avec le départ de Castillo, s'est aggravée, laissant un pays encore plus fracturé et aux blessures profondes encore à guérir.

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