Paris dit adieu à Cardinale, le tana qui a conquis le cinéma sans demander la permission.

par 30 septembre 2025

Le monde du cinéma, ou ce qu'il en reste, s'est réuni à l'église Saint-Roch de Paris pour dire adieu à Claudia Cardinale , l'une des dernières figures difficiles de l'âge d'or du cinéma européen. Des centaines de visages connus, des membres de sa famille et quelques curieux se sont réunis dans ce qu'ils appellent la « paroisse des artistes », un lieu plus chargé d'histoire du show-business que de foi, pour dire adieu à l'actrice qui, bronzée comme un cheveu sur la soupe, a choisi la capitale française pour passer ses dernières années.

Claudia Cardinale

L'atmosphère intérieure était lourde, mêlant respect et nostalgie d'une époque révolue. Des fleurs étaient partout, ainsi que des messages commémorant une carrière de plus de soixante ans, une œuvre qui a marqué durablement le cinéma. Mais au-delà de l'hommage officiel, la cérémonie laissait planer une question : qui était vraiment cette femme devenue une icône mondiale presque sans le savoir ? Car l'histoire officielle, celle du glamour et des festivals, oublie parfois les détails, les rebondissements qui rendent une vie digne du cinéma.

Icône par la force ? La naissance d'une star

Pour trouver la cinquième patte du chat, il faut commencer par le commencement. Claude Joséphine Rose Cardinale, comme l'indiquait sa carte d'identité, est née en Tunisie en 1938. Fille de Siciliens, issue de la communauté, loin, très loin des clins d'œil de Rome ou de Paris. Son ascension fut fulgurante à la fin des années 1950, dans une Italie pansée de ses blessures de guerre et en quête de nouveaux mythes. Cardinale, avec sa beauté méditerranéenne bouleversante, leur allait comme un gant.

Mais c'est là que les choses curieuses commencent. Contrairement aux autres divas de l'époque, qui fondaient tout sur le scandale ou une personnalité débordante, Claudia Cardinale avait quelque chose d'autre. Une polyvalence qui la faisait briller dans un drame d'auteur ou un blockbuster hollywoodien. Cependant, il y avait une astuce, un secret de polichinelle qui ferait scandale aujourd'hui : dans ses premiers films italiens, sa voix, naturellement grave et éraillée, était doublée. Incroyable, n'est-ce pas ? L'actrice que tout le monde voyait n'était pas celle qu'ils entendaient. Ce qui aurait pu jouer contre elle, lui conférait une aura de mystère, comme si elle était un personnage inaccessible. Elle a enduré de travailler avec les plus grands noms de l'époque, comme Federico Fellini, Luchino Visconti et Sergio Leone, qui ne recherchaient pas un beau minois, mais une présence qui remplissait l'écran, qui racontait une histoire sans même ouvrir la bouche. Et elle y est parvenue.

Les métiers qui l'ont fait connaître

L'héritage de Claudia Cardinale est lié à une poignée de films aujourd'hui classiques. Mais elle n'était pas une actrice vedette dans un second rôle ; dans chacun de ces rôles, elle apportait un physique et un look qui ont contribué à rendre ces films intemporels.

  • Rocco et ses frères (1960) : Aux côtés de Visconti, elle incarne Ginetta. Un rôle secondaire, certes, mais essentiel pour comprendre le drame d'une famille du Sud qui part gagner sa vie à Milan et se cogne la tête contre les murs. De la pure réalité.
  • Le Guépard (1963) : De nouveau aux côtés de Visconti, elle y fait ses débuts en star. Elle incarne Angelica, symbole de la nouvelle bourgeoisie venue bousculer la vieille aristocratie. Une bombe de sensualité et d'ambition aux côtés de deux monstres comme Alain Delon et Burt Lancaster.
  • Huit et demi (1963) : Dans le chef-d'œuvre de Fellini, elle devient la muse, la vision idéalisée du réalisateur. Elle représente la pureté, l'inspiration. La question qui demeure est : était-elle elle ou le fantasme qu'un homme comme Fellini nourrissait de la femme parfaite ? Un débat autour d'un café.
  • Il était une fois dans l'Ouest (1968) : Dans le western épique de Sergio Leone, elle a prouvé qu'elle pouvait maîtriser tous les genres. Sa Jill McBain est l'une des femmes les plus fortes de l'histoire du cinéma : une veuve au cran plus grand que tous les cow-boys réunis, se battant seule pour un lopin de terre. Qui ne s'identifie pas à cela ?
  • Fitzcarraldo (1982) : Elle s'est retrouvée embrouillée lors d'un tournage en forêt amazonienne avec le réalisateur allemand Werner Herzog, connu pour être plus complexe qu'un moteur de réfrigérateur. Comme Molly, elle a apporté charisme et solidité à un film presque inachevé. Une vraie professionnelle.

Entre Paris et Rome : citoyen de deux mondes ou étranger partout ?

Bien que son nom soit synonyme de cinéma italien, la relation de Claudia Cardinale avec la France a constitué un chapitre à part. Elle s'est installée à Paris dans les années 1970, et la ville est devenue son foyer. Cette double résidence a enrichi sa carrière, mais l'a aussi placée dans une position ambiguë. Pour les Français, elle était leur délice italien, une icône adoptée qui parlait leur langue et travaillait avec leurs réalisateurs. Ils la respectaient, bien sûr, mais toujours avec ce côté « outsider ».

D'un autre côté, pour beaucoup d'Italiens, elle fut celle qui s'est « francisée », celle qui est partie à la recherche d'autres horizons. Cette dualité, loin d'être problématique, fut peut-être le secret de sa pérennité. Elle n'appartenait à aucun lieu, et pour cette raison même, elle appartenait au monde entier. L'hommage rendu à Paris boucle donc la boucle. C'est un adieu à la ville qui l'a abrité, mais aussi la confirmation que sa figure était toujours en transit, tel un pont entre deux cultures cinématographiques qui se regardaient avec suspicion et admiration.

À la fin de la journée, le rideau tombait sur Saint-Roch, annonçant une vie consacrée au cinéma. Mais l'image de Claudia Cardinale , celle qui vous a marqué à l'écran, restera gravée dans nos mémoires. Elle n'était pas seulement une actrice ; elle était un symbole d'indépendance, une travailleuse acharnée qui a ouvert la voie par son regard et une force qui n'avait pas besoin d'élever la voix. La question est de savoir si, dans ce monde de réseaux sociaux et de consommation rapide, il y a encore de la place pour des silences qui, comme le sien, parlent plus fort que n'importe quel discours.

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